La maladie du sommeil ou Trypanosomiase humaine africaine

La trypanosomiase humaine africaine (THA) est communément appelée maladie du sommeil. Cependant, cette appellation est trompeuse, car il ne s’agit pas d’un trouble du sommeil, mais d’une maladie parasitaire. Le parasite qui est à l’origine de cette infection est transmis par la piqûre de la mouche tsé-tsé, qui n’est présente qu’en Afrique subsaharienne. Les populations rurales qui vivent de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche ou de la chasse sont les plus exposées. Toutefois, il est possible d’être infecté au cours d’un voyage. Le diagnostic et le traitement de la maladie du sommeil sont complexes et, sans une prise en charge médicale spécifique, cette pathologie est mortelle.

Maladie du sommeil : qu’est ce que c’est ?

mouche tsé tsé

La maladie du sommeil ou trypanosomiase humaine est une infection parasitaire, mortelle dans la plupart des cas si elle n’est pas traitée.

Les causes de la THA

La mouche qui donne la maladie du sommeil est communément appelée la mouche tsé-tsé (ou tsétsé). Elle devient porteuse du parasite trypanosoma brucei (Tb), après avoir été infectée elle-même à partir d’humains ou d’animaux. Cette mouche appartenant au genre Glossina est présente dans 36 pays d’Afrique subsaharienne.

Lorsque la mouche tsé-tsé est infectée, les parasites se reproduisent dans le corps de l’insecte durant 12 à 30 jours. La mouche devient vectrice de la THA au bout de 3 semaines environ, et elle le reste durant toute sa vie (3 mois en moyenne).

Si la mouche tsé-tsé constitue le principal vecteur de l’infection, il existe d’autres modes de transmission. La maladie se transmet principalement de la mère à l’enfant au cours de la grossesse. Toutefois, des cas de transmission du parasite par contact sexuel et d’infections accidentelles avec des aiguilles contaminées sont connus. En outre, bien que les données manquent, d’autres insectes hématophages pourraient transmettre la THA.

Après la piqûre, le parasite attaque le système nerveux central, provoquant de graves lésions cérébrales et la mort dans presque tous les cas sans traitement. 

Le fait d’avoir déjà souffert de THA n’entraîne pas une immunité : une seconde infection peut survenir.

Les différentes formes de la THA

On distingue deux formes de trypanosomiase humaine africaine, en fonction de la sous-espèce du parasite à l’origine de l’infection.

Le trypanosoma brucei gambiense, présent dans 24 pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale, représente actuellement 97% des cas de maladie du sommeil. Les humains constituent son principal réservoir. Il provoque une infection chronique qui ne se déclare généralement pas immédiatement. La personne infectée peut ainsi passer des années sans présenter des signes de la maladie. Lorsque les symptômes se manifestent de manière plus significative, la THA est alors à un stade avancé, et le système nerveux central est le plus souvent atteint.

Le trypanosoma brucei rhodesiense, présent dans 13 pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe, représente 3% des cas. Les antilopes, les bovins, les hyènes ou encore les ovins constituent son principal réservoir. Il cause une infection aiguë qui se manifeste dans un délai de quelques semaines à quelques mois après l’infection. Cette forme de THA évolue rapidement, et elle envahit le système nerveux central.

Les deux formes sont mortelles sans traitement et même avec celui-ci, elles peuvent être mortelles ou laisser des séquelles neurologiques chroniques.

Il est à noter qu’il existe une troisième forme de maladie du sommeil qui touche exclusivement les espèces animales sauvages et domestiques : la nagana, ou trypanosomiase animale africaine.

Où l’attrape-t-on ?

La trypanosomiase africaine est une maladie exclusive à l’Afrique tropicale et subtropicale, entre les latitudes 15ºN et 20ºS, soit du nord de l’Afrique du Sud au sud de l’Algérie, de la Libye et de l’Égypte.

Épidémiologiquement, deux zones différentes sont décrites :

  • Les zones où prédomine Tb Gambiense, dans lesquelles le groupe de mouches tsé-tsé palpalis habite : l’Afrique de l’Ouest et du Centre, de préférence dans les régions boisées, avec des cours d’eau et des berges qui accentuent la prévalence de la maladie.
  • Les zones où prédomine Tb Rhodesiense, dans lesquelles les vecteurs habituels sont les mouches G.morsitans et G.fuscipes : Afrique de l’Est (Afrique de l’Est et du Sud-Est), dans les savanes et les zones sèches.

Il existe 36 pays endémiques : Angola, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée Équatoriale, Kenya, Liberia, Malawi, Mali, Mozambique, Nigeria, Rwanda, Sénégal, République Centrale Africaine, Sierra Leone, Swaziland, Togo, Ouganda, République démocratique du Congo, République-Unie de Tanzanie, Soudan, Zambie et Zimbabwe. 

Sont également inclus dans cette liste le Botswana, le Burundi, l’Éthiopie, la Gambie, la Namibie et le Niger, mais ces pays n’ont signalé aucun cas au cours des 20 dernières années.

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Quelques chiffres sur la maladie du sommeil

La maladie du sommeil africaine est généralement diagnostiquée dans les zones rurales et dans les prairies des pays d’Afrique subsaharienne.

L’Afrique centrale est la région épidémique, mais des infections minoritaires sont recensées  dans certaines parties de l’Afrique de l’Ouest. La République démocratique du Congo, l’Angola, le Soudan, la République centrafricaine, le Tchad et le nord de l’Ouganda sont les pays qui comptent le plus de cas(95 %).

En Afrique australe et orientale, la maladie du sommeil touche 13 pays, notamment l’Ouganda, la Tanzanie, le Malawi et la Zambie. En 2012, plus de 7 000 cas ont été recensés. Aujourd’hui, le nombre de nouveaux cas signalés a considérablement diminué. 

Les recherches permettent de limiter progressivement la maladie. Cependant, on estime qu’il y a toujours 55 millions de personnes exposées au risque d’attraper la THA en  Afrique subsaharienne.

Maladie du sommeil : quels sont les symptômes ?

Pendant la phase I de la maladie, le parasite est uniquement dans le sang. Pendant la phase II, le parasite passe du sang au système nerveux central et atteint le centre du sommeil, provocant des symptômes neurologiques, ce qui explique la plus grande sévérité de la maladie.

Le stade lymphatico-sanguin (phase 1)

Au cours de ce premier stade de la maladie du sommeil, les parasites se transforment en  trypomastigotes et se propagent le sang, les tissus sous-cutanés et les ganglions lymphatiques. Le patient peut présenter une papule qui devient parfois  un chancre douloureux après la piqûre. Lorsque les organes lymphatiques sont infectés, il développe plusieurs  symptômes généraux : 

  • Céphalées ;
  • Fièvre intermittente ;
  • Douleurs articulaires ;
  • Démangeaisons  ;
  • État de grande faiblesse ;
  • Gonflement des ganglions lymphatiques  ;

Ce stade de la maladie peut durer plusieurs mois, voire des années.

Stade de méningo-encéphalite ou neurologique (Phase 2)

En l’absence d’un diagnostic et de la mise en place d’un traitement au cours du premier stade de la THA, le parasite envahit le système nerveux central. Cela se traduit tout d’abord par des troubles du sommeil, allant des mouvements périodiques pendant le sommeil jusqu’au syndrome d’apnée du sommeil, ainsi que par des troubles de la personnalité. 

Un patient atteint de la maladie du sommeil a fréquemment des difficultés à parler et à se déplacer. À terme, une méningo-encéphalite se déclare, ce qui conduit au coma, puis à la mort.

Le syndrome du cycle veille/sommeil

La THA est communément nommée « la maladie du sommeil », car elle se manifeste par un trouble important du cycle veille/sommeil survenant au stade de méningo-encéphalite.

Les patients ont des difficultés pour dormir et se réveiller normalement au terme d’une nuit de sommeil. Leur sommeil est fractionné, et ils dorment, aussi bien le jour que la nuit, mais peu de temps à la fois. Leur temps de sommeil est quasiment équivalent à la durée de sommeil d’un individu bien portant. Mais si le nombre d’heures de sommeil d’un patient atteint de THA est normal, la qualité du sommeil est en revanche bien moindre. 

Ce trouble du rythme circadien est à l’origine d’un manque de sommeil qui provoque une somnolence dans la journée. Ces troubles sont comparables à ceux que subissent les personnes souffrant d’insomnie ou de fatigue chronique. Ils sont susceptibles de s’aggraver au point de provoquer une envie de dormir subite, voire des « attaques de sommeil » comparables à la narcolepsie.

La THA modifie en outre l’architecture du sommeil. Alors qu’un cycle de sommeil normal se compose de sommeil lent, suivi de sommeil paradoxal, c’est l’inverse qui se produit chez les patients atteints de THA : le sommeil paradoxal précède le sommeil lent, ce qui favorise les troubles du sommeil. Plus la THA est sévère, plus ce phénomène s’aggrave.

Maladie du sommeil : comment la diagnostiquer ?

Plus le diagnostic de THA est précoce, plus les chances de guérison sont bonnes. Il   implique un personnel qualifié et des instruments spécifiques, et il se déroule en 3 étapes : . 

  • L’identification des personnes potentiellement infectées par le test rapide d’anticorps réactifs ou par la palpation des ganglions lymphatiques ; 
  • Une ponction ganglionnaire afin d’effectuer des tests permettant de détecter la présence du parasite trypanosoma et d’exclure d’autres causes de l’infection ;
  • Une ponction lombaire dans la moelle épinière et un examen du liquide céphalo-rachidien afin de rechercher des parasites dans les ganglions lymphatiques, de déterminer le stade de la maladie et d’établir le meilleur traitement.

Quels traitements pour la maladie du sommeil ?

Le traitement doit débuter le plus tôt possible afin d’éviter que la maladie du sommeil ne progresse et que le parasite n’atteigne le système nerveux central. Le choix du traitement dépend à la fois de l’espèce du parasite et du stade auquel la maladie est diagnostiquée.

Les traitements de la THA de stade 1

Les médicaments utilisés pour traiter la maladie durant sa première phase sont relativement faciles à administrer, et présentent peu d’effets secondaires.

La pentamidine

La pentamidine est un antihistaminique  découvert en 1940. Elle est utilisée dans le traitement de la maladie du sommeil causée par le parasite T. brucei gambiense. Bien toléré par les patients, ce médicament est administré par voie intramusculaire ou par perfusion intraveineuse lente. La dose habituelle de pentamidine est de 4 mg/kg par jour ou tous les deux jours selon le poids corporel. Les injections peuvent être faites 7 à 10 fois au plus.

La suramine

La suramine est un médicament parasiticide découvert en 1921. Elle est recommandée dans le traitement de la trypanosomiase humaine africaine due au T. brucei rhodesiense.

Ce médicament est administré seulement par voie intraveineuse. En général, le patient peut d’abord recevoir une injection de 100 mg de l’ingrédient actif. Une fois l’hypersensibilité éliminée, 1 gramme est généralement administré chez les patients adultes. Cette même quantité de suramine est ensuite administrée les 3e, 7e, 14e et 21e jours du traitement. Chez les enfants, la posologie habituelle recommandée de suramine est de 20 mg/kg par jour suivant le poids corporel. L’injection est faite de la même manière que celle des adultes. Cet antiparasitaire peut causer des réactions allergiques ou avoir des effets secondaires au niveau des voies urinaires.

Les traitements de la THA de stade 2

Les médicaments utilisés pour le traitement du stade neurologique de la maladie du sommeil en Afrique ont une toxicité assez élevée. Les principes actifs les plus utilisés sont le plus souvent le mélarsoprol, l’éflornithine en monothérapie en association avec le nifurtimox.

Le mélarsoprol

Le mélarsoprol est une substance dérivée de l’arsenic, utilisée pour la première fois en 1949. Il peut être prescrit pour la prise en charge de la maladie causée par  T. brucei rhodesiense ou T. brucei gambiense. Cependant, cet ingrédient actif peut provoquer des effets secondaires importants, dont le plus sévère est probablement l’encéphalopathie réactive, une pathologie infectieuse qui peut s’avérer mortelle. 

Il existe de nombreux autres effets indésirables :

  • Éruptions cutanées ;
  • Neuropathie périphérique ;

Troubles gastro-intestinaux. 

Le mélarsoprol est généralement administré par voie intraveineuse. Chez les patients adultes, on administre une dose de 2 à 3 mg/kg durant trois jours(il peut être reconduit après un intervalle d’une à deux semaines). Chez les enfants,  la dose initiale habituelle de mélarsoprol est de 0,36 mg/kg. Le médecin traitant peut décider d’augmenter progressivement la quantité de mélarsoprol utilisée jusqu’à ce que le dosage optimal soit atteint pour chaque patient.

L’éflornithine

Autorisée en 1990, l’éflornithine est un principe actif moins toxique que le mélarsoprol, mais il n’est efficace que pour le traitement de la maladie du sommeil causée par T. brucei gambiense et il n’est pas recommandé pour les enfants. Chez les adultes, la dose initiale habituelle d’éflornithine est de 400 mg/kg par jour. Cette substance est administrée en quatre doses fractionnées, par voie intraveineuse sur une période de 14 jours. Ensuite, le traitement à l’éflornithine est poursuivi à raison de 300 mg/kg par voie orale pendant environ 3 à 4 semaines.

La combinaison nifurtimox et éflornithine

Le nifurtimox est un principe actif le plus souvent utilisé pour traiter la trypanosomiase américaine, ou la maladie de Chagas, qui est causée par l’espèce Trypanosoma cruzi. Cependant, combiné avec l’éflornithine, ce médicament administré par voie orale s’est avéré très efficace contre la THA provoquée par T. brucei gambiense. Cette combinaison a été homologuée en 2009 et développée les organisations Drugs for Neglected Diseases (DNDi) et Épicentre du MSF.

Les traitements recommandés pour les deux stades

Le développement d’un nouveau médicament, le fexinidazole, a permis de faire un grand pas dans le traitement de la maladie du sommeil. L’utilisation de ce médicament a été approuvée fin 2018. 

Plus sûr, plus facile à administrer et plus efficace, c’est le  premier médicament oral agissant à tous les stades. Cependant, pour les cas plus avancés, l’efficacité de ce traitement est moins bonne. Il s’avère nécessaire de continuer avec le traitement combiné de nifurtimox et d’éflornithine. Les prises de fexinidazole se font sur 10 jours.

Épidémiologie

La maladie a été maîtrisée dans les années 1960, mais la propagation des conflits armés et l’affaiblissement des systèmes de santé ont contribué à sa résurgence. Aujourd’hui, contrairement à d’autres maladies négligées pour lesquelles peu de progrès ont été réalisés, les cas de maladie du sommeil diminuent d’année en année grâce aux programmes de lutte. En 2009, le nombre de nouveaux cas déclarés est tombé à moins de 10 000 pour la première fois en un demi-siècle. Entre 1999 et 2018, les nouveaux cas enregistrés ont été réduits de 96 % (de 28 000 à 977).

THA : quelles perspectives ?

À l’heure actuelle, les recherches sur le sommeil sont toujours nombreuses – pour suivre les avancées majeures, il est possible de consulter notamment le site de l’Institut National du Sommeil. Car si la science démontre formellement qu’il est indispensable de mieux dormir (sans recours aux somnifères !) pour rester en parfaite santé, le mécanisme du sommeil conserve de nombreuses zones d’ombres.

Dans le cas spécifique de la THA, les recherches sont menées par des organismes spécialisés, notamment l’Institut Pasteur :

  • Le département Parasites et insectes vecteurs développe des outils visant à comprendre les interactions des parasites et de leur hôte ;
  • L’unité Biologie cellulaire des trypanosomes est entièrement dédiée à l’étude de ce parasite ;
  • Le groupe Transmission des Trypanosomes étudie le développement cyclique du parasite afin de faciliter sa détection sur le terrain ;
  • Le groupe à 5 ans Biologie moléculaire des trypanosomes étudie la réponse immunitaire des organismes infectés par le parasite ;
  • La plate-forme Investigation clinique et accès aux ressources biologiques (ICAReB) centralise les échantillons provenant d’environ 1880 donneurs, et gère les ressources biologiques de l’Institut Pasteur et de la communauté scientifique internationale, afin de faciliter le diagnostic.

S’il n’existe pas de vaccin à ce jour, un nouveau test de diagnostic immunologique et un biomarqueur du stade neurologique de la maladie ont été récemment développés.   

L’OMS a mis en place un partenariat public-privé avec Aventis Pharma (Sanofi) afin de mettre au point un programme de surveillance et de lutte spécifique en Afrique Subsaharienne. Renouvelé en 2006, en 2011, puis en 2016 et 2021, il a permis d’aboutir à un recul significatif de la maladie. L’objectif est d’éliminer la maladie en tant que problème de santé publique, mais aussi d’éliminer sa transmission d’ici à 2030.

En 2008, l’OMS a lancé l’Atlas de la trypanosomiase humaine africaine, visant à cartographier la répartition par village de tous les cas signalés de la maladie. Après le Togo, la Côte d’Ivoire est devenue en 2021 le second pays dans lequel la THA n’est plus considérée comme un problème de santé publique.